Dimanche 15 août 2021
Assomption de la Vierge Marie

Textes de la liturgie

  • Apocalypse de saint Jean : 11, 19a ;12, 1-6a.10ab.
  • Psaume 44 : Debout à la droite du Seigneur se tient la reine toute parée d’or.
  • 1 Corinthiens 15, 20-27a : Frères, le Christ est ressuscité d’entre les morts.
  • Luc 1, 39-56 : la Visitation.

L’homélie

Sœurs et frères,

Nous célébrons aujourd’hui l’assomption de la Vierge Marie. Nous pouvons nous demander ce que signifie cette fête, qui est relativement récente dans le calendrier liturgique de l’Église catholique : elle date de 1950 seulement. Il y avait cependant déjà depuis longtemps des célébrations de la Vierge le 15 août. La basilique Sainte Marie Majeure à Rome a été construite au ve siècle en l’honneur de Marie, sur un lieu qui avait connu un certain 15 août une chute de neige hors saison. En France, au début du xviie siècle, Louis xiii avait demandé que soit honorée la Vierge le 15 août. Pourquoi donc avoir attendu si longtemps pour que cette fête soit reconnue par l’Église et célébrée par une liturgie appropriée ?

La grande question de la mort et du salut est ici touchée d’une manière très spéciale. Sa réalité humaine dans le cas de Marie était connue des théologiens depuis des siècles, mais comment articuler la mort de la « Mère de Dieu », comme le concile d’Éphèse en 431 avait caractérisé Marie, sans mettre à mal quelque donnée d’une foi encore en recherche d’un lexique audible ? La Bible ne dit rien en fait de la mort de la Vierge. Deux possibilités se présentaient : quelque chose comme la résurrection, ou la dormition. L’Orient avait choisi la dormition, sans doute à la suite de saint Paul : « Le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui sont endormis » (1Co 15,20). Le mot « dormition » permet en outre de répondre à la question de savoir si le corps de la Vierge a été soumis à la corruption physique, puisque le Seigneur ne laisse pas se corrompre le corps de celle qui est « Mère de Dieu » et que, dans le sommeil, le corps ne se corrompt pas. Si par contre la Vierge est morte, son assomption n’est-elle pas une résurrection, dont nous n’avons pas plus de notions que les disciples en descendant du mont de la transfiguration (Mc 9,11) ?

Ces indécisions lexicales font que le texte promulgué par Pie xii en 1950 fait prudemment le silence sur la question. Il dit seulement que : « l’Immaculée Mère de Dieu, la Vierge Marie, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, fut élevée corps et âme à la gloire céleste ». On ne dit rien ici qui puisse rapprocher l’assomption de la Vierge à l’« ascension » de Jésus (Mc 16,19) ou à l’« enlèvement » d’Élie (2R 2,11-12), ni même à la résurrection de la chair ou au « réveil » de la fille de Jaïre (Mc 5,39).

Ce qui a convaincu le pape Pie xii de proclamer le dogme de l’assomption, ce ne sont pas les théologiens en dispute sur la question, mais la piété populaire à laquelle des milliers d’évêques avaient rendu témoignage pour leur territoire. N’oublions pas que le culte de la Vierge a été développé de manière extraordinaire durant le xixe siècle. Sur la mort de Marie, nous avons aussi des exemples très anciens d’une piété populaire. On a trouvé par exemple en Espagne, à Saragosse, un sarcophage du ive siècle décoré par des bas-reliefs parmi lesquels on aperçoit Jésus, ressuscité, qui tend la main à sa mère pour l’attirer auprès de lui. Cette représentation, qui ressemble à la descente de Jésus aux enfers dans les icônes classiques, signale que ce dont il s’agit dans l’assomption n’est pas vraiment senti comme une résurrection. Le Christ est en effet le ressuscité, les autres sont réveillés, selon le verset de saint Paul que nous avons déjà cité. On dit même que le Christ « s’est ressuscité » lui-même, conformément à la parole de Jésus : « Ma vie, personne ne me l’ôte, mais je la donne de moi-même et la reprends » (Jn 10,17). Par contre, la Vierge ne reprend pas la vie qu’elle a donnée. Elle-même a été « assumée » (de là le mot « assomption ») par son Fils Jésus ressuscité et exalté auprès du Père. Seul le regard de la foi peut tenir de tels propos. La résurrection de Jésus est une action du Fils de Dieu. L’assomption de Marie est aussi une action du Christ en gloire, et pour Marie une « passion » corrélative à cette action, ou une grâce reçue du Fils ressuscité.

En quoi tout cela nous importe-t-il ? Remettons-nous en présence du sarcophage de Saragosse. Il s’agit en fait de notre vie, de notre mort, de notre corps. Dans notre culture contemporaine, et l’épidémie de la covid nous le rappelle violemment, nous voulons être maître de notre corps, en faire ce que nous désirons. Mon corps est à moi, dit-on souvent. Mais personne n’a décidé de s’engendrer, personne n’est né de lui-même, se mange lui-même, parle et se socialise avec le miroir de son soi, sans autrui. Évidemment, on pourrait penser que tous ceux qui nous donnent de vivre et prennent soin de nous sont à notre service exclusif. Cette affirmation de la liberté auto-référée ne change pas la donne : sans autrui, nous ne sommes rien. Notre corps dépend d’autrui en tout, de l’engendrement à la mort. Est-ce pour cela que nous devons désespérer d’être libre ? Ou pour nous ouvrir au contraire des espaces d’espérance ?

Le regard chrétien sur le corps est un regard d’admiration : je suis parce que quelqu’un a pris soin de moi, ou plutôt parce que j’ai été donné à moi-même par d’autres que moi, sans que je sache le nom de chacun d’eux. On a beau dire dans notre culture occidentale qu’il est important de se faire soi-même ; un peu de bon sens ou de regard réaliste nous oblige à nuancer et corriger ces prétentions. Se recevoir comme un don gracieux, tel est le regard que chacun peut demander comme une grande grâce, dans l’espérance en l’amour de Dieu, « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob, qui n’est pas un Dieu de morts, mais de vivants » (Mc 12,26-27).

N’est-ce pas cela que chante Marie dans son magnificat ?

« Mon âme exalte le Seigneur,
exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !
Il s’est penché sur son humble servante ;
désormais tous les âges me diront bienheureuse.
Le Puissant fit pour moi des merveilles.
Saint est son nom ! »

Et nous, nous avons confiance en ce qui est dit là.

Père Paul GILBERT sj

Collège saint Robert Bellarmin – Rome

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Un chant pour accompagner la prière:

La première en chemin
Paroles et musique : Sœur Marie-Colette Guédon

  1. La première en chemin, Marie, tu nous entraînes
    A risquer notre oui aux imprévus de Dieu.
    Et voici qu’est semé en l’argile incertaine
    De notre humanité, Jésus Christ, Fils de Dieu.
    Marche avec nous, Marie, sur nos chemins de foi,
    Ils sont chemins vers Dieu. (bis)
  2. La première en chemin, joyeuse tu t’élances,
    Prophète de celui qui a pris corps en toi.
    La parole a surgi, tu es sa résonance
    Et tu franchis des monts pour en porter la voix.
    Marche avec nous, Marie, aux chemins de l’annonce…
  3. La première en chemin avec l’Eglise en marche,
    Dès le commencement, tu appelles l’Esprit.
    En ce monde aujourd’hui, assure notre marche,
    Que grandisse le corps de ton Fils Jésus Christ.
    Marche avec nous, Marie, aux chemins de ce monde…
  4. La première en chemin aux rives bienheureuses
    Tu précèdes, Marie, toute l’humanité.
    Du royaume accompli, tu es pierre précieuse,
    Revêtue du soleil, en Dieu transfigurée.
    Marche avec nous, Marie, aux chemins de nos vies…