Dimanche 26 février 2023

Premier dimanche de Carême (A)

Lectures

  • Genèse 2, 7-9 ; 3, 1-7 : Vous serez comme des dieux.
  • Psaume 50 : Pitié, Seigneur, car nous avons péché !
  • Romains 5, 12-19 : Par la faute d’un seul, la mort a établi son règne.
  • Matthieu 4, 1-11 L’homme ne vit pas seulement de pain.

Lire les textes de la liturgie

La faim de l’autre

 Emmanuel, Dieu avec nous
Fresques du monastère de l’Emmanuel à Bethléem (1978/9)

L’église du monastère de Bethléem est située au bord du mur de séparation entre Israël et la Cisjordanie occupée. Elle a été ornée de fresques par les frères roumains Gabriel et Michel Moroshan, entre la fin de l’année 1978 et Pâques de l’année suivante. Les peintres ont travaillé en priant et en jeûnant, parfois accompagnés du son de la cithare dont jouait l’une des sœurs.

Les images accompagnant les homélies du Carême 2023 à la Chapelle Universitaire sont des reproductions tirées du livre Fresques de Bethléem, contemplation de la Parole, Salvator 2014. Elles accompagneront notre chemin de Pâques avec Jésus, en communion avec ces deux peuples, israéliens et palestiniens, en conflits depuis tant d’années.

 

L’homélie

Frères et Sœurs,

C’est une expérience, peut-être une épreuve, que nous connaissons régulièrement : celle de tomber ou de faire tomber, celle de relever ou d’être relevé.

C’est cette expérience qui est évoquée par les trois textes que nous présente la liturgie de ce premier dimanche de carême. Trois textes étroitement liés qui doivent la force de leur enseignement à leur caractère mythologique plus ou moins marqué qu’il s’agisse du serpent de la Genèse ou du diable du désert ou même de saint Paul qui se réfère au récit d’Adam, le premier humain. Je vous propose de parcourir le lien qui unit ces trois textes.

D’abord, la Genèse. Nous en connaissons l’histoire. Trois personnages sont en présence : le Dieu Elohim, l’humain et le serpent. Elohim crée le jardin d’Eden, irrigué de fleuves et planté d’arbres. C’est le monde et il le donne à l’humain. Dieu donne, en face à face, à l’humain encore seul avec lui. Mais ce don, fait sans retour, est double. Il y a la nourriture pour que vive l’humain, être de chair : « Tu pourras manger de tous les arbres ». Et il y a une loi : « De tous, sauf un ». Car manger tout équivaudrait à mourir. On ne peut pas vivre si l’on prend tout dit Elohim à l’humain.

Quelle mort, quelle vie sont-elles ici en jeu ? La réponse est donnée immédiatement par le texte. Aussitôt données la nourriture et la loi, Elohim affirme : « Il n’est pas bon que l’humain soit seul ». L’enjeu est la venue de l’autre. Des autres. Et pour qu’advienne de l’autre, il ne faut pas se réserver toute la puissance : reconnaître l’autre, c’est accepter de limiter son propre avoir et son propre pouvoir.

L’enjeu est bien la vie, celle de l’autre et sa propre vie. Car sans l’autre, l’humain ne peut pas se lever, se dresser, s’éveiller. Le langage nous l’apprend : c’est parce que nous disons « Tu » que nous pouvons dire « Je ». Faire se lever l’autre, c’est se lever soi-même. Sans l’autre, pas de vie, telle est la loi. La vie corporelle et physique n’est pas en cause : elle se terminera bien par la mort. C’est d’une autre vie qu’il s’agit : une vie qui nous tient en relation avec Dieu mais qui n’a pas d’autre lieu que notre relation aux autres. De cette vie-là, nous en sommes responsables. Elle ne va pas sans nous.

Là, apparaît le serpent. Pour empêcher l’humain d’advenir en humanité. En incitant l’humain à braver la loi, à tout prendre et à tout manger. A abolir toute relation. Le serpent dit : « Tu ne mourras pas, tu seras comme Dieu ».

Dieu, dit le serpent, est un tyran jaloux qui veut être étranger et éloigné de l’humain. Et l’humain l’a cru. Et le serpent fit tomber l’humain. Il arrive aux humains d’avoir peur de Dieu et de lutter contre lui.

Le Christ du nouveau Testament révèle le Dieu véritable.

C’est ce que montre le récit des tentations.

Le serpent diabolique revient. Il dit que l’homme vit seulement de pain. De tout manger : les pierres, la loi, l’autre. Jésus l’arrête : Dieu veut la vie de l’humain. La vie appelle le pain. Mais d’abord le souci du pain pour l’autre : l’homme vit de paroles. Paroles de valeur divine qui relèvent et font marcher. Avoir faim de l’autre au sens de désirer la venue de l’autre. Avoir faim de l’autre pour apaiser la faim de l’autre.

Au serpent à l’aspect démoniaque qui pousse le Fils de Dieu à se précipiter dans le vide pour s’en sortir magiquement sain et sauf et, ainsi, à en faire un dieu étranger à tout humanité, Jésus répond que c’est offenser Dieu. Au dieu magicien du diable, Jésus oppose le Dieu d’alliance présent dans la différence au milieu des humains. Dieu présent au sein de toutes les formes d’alliance des humains entre eux. Pas de vie sans l’autre debout, disant « je » et disant « tu ».

Au serpent-Satan qui prétend disposer, pour la donner, de la totalité des pouvoirs et des avoirs du monde à condition de se prosterner et de s’anéantir devant lui, au Satan meurtrier de l’humain, Jésus rétorque en pourfendant toutes les formes d’aliénation de l’autre et de soi-même. A Dieu seul, libérateur, tu rendras un culte, dit-il. Libérer, relever.

Frères et sœurs, saint Paul, à sa manière, tire la leçon de ces récits. Il nous dit : à cause d’un seul homme la mort a régné mais combien plus, à cause de Jésus Christ, vivront ceux que la plénitude de la grâce rend justes.

La mort a frappé la multitude des hommes. En tout homme, dit-il, il y a du serpent. Est-ce par la faute d’un seul ? Un seul est-il tombé pour entraîner les autres ? Oui parce que ce seul-là, il est à l’image de tout humain et que tout humain est à l’image du premier humain selon la Genèse.

Chacun de nous est cet humain-là lorsqu’il tombe en faisant tomber l’autre.

Saint Paul annonce alors la défaite de la mort : la vie règne par la grâce de Jésus Christ.

Cette vie, cette grâce de vivre est, elle aussi, en nous. Elle agit chaque fois que nous nous relevons et relevons les autres.

Quelle bonne nouvelle que de croire en sa victoire sur le serpent !

Le carême de cette année est placé, dans notre communauté chrétienne, sous le signe des victimes de la pauvreté et de la faim au Brésil. Nous sommes invités à partager pour elles le fruit de nos efforts de carême. Elles sont loin, ces victimes, inconnues de nous, bien différentes sans doute. Des « autres » pour nous. Ayons faim de l’autre. Délivrons-les de la faim.

        Père Jean-Paul Laurent sj

Communauté Notre-Dame de la Paix, Namur

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Un chant pour accompagner notre méditation

Dans le désert où ton Esprit nous entraîne

Texte : Claude Bernard – Musique : Grazia Previdi GPS

R. Dans le désert où ton Esprit nous entraîne,
Seigneur éveille-nous à ta louange,
Toi Jésus créateur,
Le béni que servent les anges !

Les 5 dimanches :
0.  Au désert avec toi, tiendrons-nous
Quarante jours, quarante nuits ?
L’ardente soif du Dieu d’amour
Met nos cœurs à nu
Et nous entendons chanter l’Alliance.

  1. Au désert avec toi, Jésus-Christ,
    Nous combattrons le tentateur.
    Que notre jeûne soit un cri
    Vers le Dieu qui vient
    Changer nos bois morts en vie brûlante.
  2. Au désert avec toi, Fils de Dieu,
    Osons partir vers les montées.
    Nous te verrons, lumière et feu
    Sur le mont Thabor,
    Heureux d’écouter ta voix divine.
  3. Au désert avec toi, pleins d’espoir,
    Cherchons la source qui jaillit.
    Nous puiserons à la vraie joie
    Comme au bord du puits,
    Là où le Sauveur donnait l’eau vive.
  4. Au désert avec toi, Bien-Aimé,
    Nous marcherons à découvert.
    Avec nos yeux d’aveugles nés
    Qui se sont ouverts
    Nous regarderons ton aurore.
  5. Au désert avec toi, le Vivant,
    Chassons la peur devant la mort.
    Comme Lazare se relevant,
    Recevons de toi
    Un surgissement de vie nouvelle.