Dimanche 19 novembre 2023

33ème dimanche ordinaire (A)

Lectures

  • Proverbes 31, 10…31 : Une femme parfaite qui la trouvera ?
  • Psaume 127 : Heureux qui craint le Seigneur.
  • 1 Thessaloniciens 5, 1-6 : Le jour du Seigneur vient comme un voleur dans la nuit.
  • Matthieu 25, 1-13 : La parabole des talents.

Lire les textes de la liturgie

Entrer dans l’esprit du don.

 

La parabole des Talents,
Vitrail exécuté par Clayton & Bell, Londres, pour l’église St Edith, Bishop Wilton,
Fin du XIXe siècle.

Homélie

Frères et sœurs, Nous venons d’entendre la parabole bien connue des talents. Cette parabole nous la comprenons souvent, selon la traduction qui nous a été lue, comme ceci. Un maître de maison, s’en va en voyage. Avant de partir, il confie diversement ses biens à ses serviteurs. Et à son retour, logiquement, il leur réclame des comptes sur l’usage qu’ils ont fait de ses biens.

Or, est-ce bien cela que le texte dit ? Si nous faisons bien attention au texte, c’est vers une autre compréhension de la parabole que nous sommes conduits. Il nous faut donc être très vigilants sur la traduction.

En fait, le texte ne dit pas que le maître de maison part en voyage comme s’il allait revenir, mais qu’il part ; il s’en va et quitte son domaine. Et quittant son domaine, il n’est pas dit qu’il « confie » ses biens à ses serviteurs, mais qu’il les « donne[1] ». Il leur livre ses biens. Il s’agit bien d’un don. Le mot « donner » vient quatre fois dans le texte. L’homme qui part, se dépossède de ses biens. Et quand on donne, on abandonne la propriété de ce qui est donné et, donc, le droit de regard sur ce que l’on donne. Il s’agit d’un don et non d’un prêt ou d’un dépôt dont on garde la propriété. « Donner », en effet, c’est bien plus que confier en dépôt, comme le laisse entendre la traduction.  Donner, c’est se déposséder.

Ce qui caractérise le maître, c’est précisément le don. Ainsi donc, en s’absentant, en partant, le maître donne cinq talents, au premier serviteur, deux au deuxième et un seul talent au troisième. Les sommes données sont énormes. On estime que trois talents correspondent au salaire d’une vie entière.  Selon la traduction, le maître « revient » et, toujours selon la traduction, « il demande des comptes ». La encore, ce n’est pas ce que le texte dit. D’abord, il n’est pas dit que le maître « revient » pour reprendre sa place, mais qu’il « vient » de manière nouvelle et inattendue ; ce n’est pas un retour mais une nouvelle histoire qui commence. Ensuite, il n’est pas dit que le maître demande des comptes à ses serviteurs sur l’usage des biens qu’il leur aurait confiés. Mais littéralement, il est dit que le maître « entre en langage », qu’il « entre en conversation » avec les serviteurs[2]. En quelque sorte, il ne dit pas : « Rends compte de la gestion des biens que je t’ai confiés », mais plutôt : « Alors, raconte, qu’as-tu fait des biens que je t’ai donnés ». Le maître ne demande pas des comptes, mais invite, simplement, amicalement, à raconter. Il ne s’agit donc pas d’un règlement de compte, mais d’une mise en récit. Les deux premiers serviteurs racontent ce qu’ils ont fait des biens qui leur ont été donnés, du profit qu’ils en ont tiré. Les deux premiers serviteurs, tout deux, ont gagné le double de ce qu’ils ont reçu. Il ne leur est pas demandé de restituer ces biens, ils gardent ce qu’ils ont gagné. Et le maître, tout réjoui d’entendre ce récit, les félicite. Il les fait entrer dans une relation nouvelle avec lui, une relation joyeuse où il n’est plus appelé maître mais « seigneur ». « Serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton seigneur ». Fidèle, veut dire « qui a la foi ». Ils ont cru, en effet, au don reçu, ils ont cru en eux-mêmes et ils ont fait fructifier le don reçu. Magnifique parcours donc que celui des deux premiers serviteurs qui ont cru à leur maître et au don qu’il leur avait fait ! Ils s’en sont appropriés et l’ont fait fructifier de manière autonome, libre et inventive. Ce qu’ils récoltent, c’est, plus que de l’argent, c’est plus qu’une louange ; ils accèdent à une proximité joyeuse et amicale, d’égal à égal, avec leur maître, leur ancien maître, désormais leur « seigneur ».

Tout autre est l’attitude et le sort du troisième serviteur. La différence, c’est que lui n’a pas vu le don, il n’a vu qu’un prêt, il n’a vu qu’un dépôt à conserver et à restituer. Et par peur, peur du maître, peur de lui-même, ne se confiant ni au maître ni en lui-même, il a enterré le talent. En quelque sorte, il s’est enterré avec le talent, en ne faisant rien, atterré qu’il était par son maître qu’il imaginait dur et mauvais. « Seigneur, je savais que tu es un homme dur. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient ». Il lui restitue ce qu’il n’a jamais considéré comme sien. Il a pris peur. Or la peur est l’inverse de la foi. Puisque le troisième serviteur considère que le talent reçu n’est pas à lui, le maître le prend au mot ; il lui reprend ce qu’il ne considère pas comme sien. Et ce talent, le maître continue à le donner aux autres. Il demeure fidèle à l’esprit du don. Tandis que le serviteur peureux et paresseux, lui, devenu conscient de son erreur, s’en mord les doigts. Il est mis dehors (non pas en enfer comme on l’imagine parfois), plein de remord et de regret, donc de possible repentance.

Frères et sœurs, cette parabole nous donne à penser. Elle donne à penser aux rapports que nous entretenons avec les autres et aussi avec Dieu.

Dans la vie, bien sûr, il y a des moments et des circonstances où l’on prête, où l’on met des choses en dépôt et, légitimement, on attend qu’elles nous soient rendues. Un prêt ou un dépôt n’est donc pas un mal, bien sûr. Ce qui serait un mal, ce serait de vivre entre nous uniquement sous le régime du prêt ou du dépôt. Si nous vivions seulement sous ce régime, on serait toujours en train de calculer, d’attendre en retour l’équivalent, de réclamer et de demander des comptes. On serait toujours inquiet de garder la mainmise sur les choses que l’on confie aux autres, sans les abandonner vraiment, en gardant ainsi toujours un droit de regard sur l’autre pour s’en faire un obligé. On serait toujours soumis à des règlements de compte. Ce serait infernal, tout à l’opposé de la joie.

Au contraire, la parabole nous invite à entrer dans l’esprit du don. Entrer dans l’esprit du don, c’est d’abord recevoir, car on est toujours précédé par le don : le don de la vie elle-même, le don de tous ceux et celles qui nous ont aimés et aidés à grandir. L’esprit du don, c’est de nous approprier ce que nous avons reçu, de le faire nôtre, de le faire fructifier, de manière libre et inventive, de telle sorte que nous puissions donner à notre tour, autrement et à d’autres, qui pourront aussi donner.

Ce Royaume de Dieu n’est pas loin de nous. Le don nous traverse. Nous ne cessons de recevoir et de donner à notre tour, sans esprit de calcul, sans rechercher à recevoir l’équivalent, sans chercher à demander des comptes, que ce soit en famille, avec nos voisins, avec nos compatriotes ou même ceux et celles au loin que nous ne connaissons pas mais qui sont aussi des frères et des sœurs. Alors, on entre dans la joie ; la joie que procure une relation de gratuité, une relation de communion où les dons s’échangent sans esprit de calcul. Regardez dans votre vie ; là où il y a de la joie, c’est là où se vit cette communion, c’est là où il y a du don.

Et Dieu dans tout ça ? Dieu, il est le premier qui a donné. « Voici que je vous donne », dit Dieu. C’est la première parole que Dieu dit aux êtres humains dans le récit de la Genèse (Gn 1, 29). A nous de ne pas sombrer dans la peur et la paresse. A nous d’avoir foi en ce don, de le faire nôtre, de nous l’approprier, de le faire fructifier afin de pouvoir donner à notre tour, au bénéfice de tous et pour la joie.

André Fossion sj

Communauté Notre-Dame de la Paix, Namur

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[1] Le verbe utilisé dans le texte grec est « διδωμι » et « παραδιδωμι » qui signifie donner, livrer.

[2] « Συναιρει λόγον μετ´αúτών » – il prend parole, il s’entretient avec eux.

Un chant pour accompagner notre méditation

Pour accomplir les œuvres du Père

Paroles : Didier Rimaud – Musique : Jacques Berthier

  1. Pour accomplir les œuvres du Père
    En croyant à celui qui a sauvé le monde,
    Pour témoigner que Dieu est tendresse
    Et qu’il aime la vie et qu’il nous fait confiance,
    Pour exposer ce temps à la grâce
    Et tenir l’univers dans la clarté pascale.

L’Esprit nous appelle à vivre aujourd’hui,
A vivre de la vie de Dieu.
L’Esprit nous appelle à croire aujourd’hui,
A croire au bel amour de Dieu.

  1. Pour découvrir les forces nouvelles
    Que l’Esprit fait lever en travaillant cet âge,
    Pour nous ouvrir à toute rencontre
    Et trouver Jésus Christ en accueillant ses frères,
    Pour être enfin le sel, la lumière,
    Dans la joie de servir le Serviteur de l’homme.
  2. Pour inventer la terre promise
    Où le pain se partage, où la parole est libre,
    Pour que s’engendre un peuple sans haine
    Où la force et l’argent ne seront plus les maîtres,
    Pour annoncer le jour du Royaume,
    Sa justice et sa paix qui briseront les guerres.
  3. Pour épouser la plainte des autres
    En berçant le silence au plus secret de l’âme,
    Pour assembler les pierres vivantes
    Sur la pierre angulaire où se construit l’Église,
    Pour entonner un chant d’espérance
    Dans ce monde sauvé et qui attend sa gloire.