Homélie

Frères et sœurs

Quand on lit les Évangiles et les Actes des apôtres, quand on prie avec la vie de Jésus ou des premiers chrétiens, il ne faut jamais oublier que, si nous, nous connaissons la suite de l’histoire, ceux qui la vivent en réalité, eux, ne la connaissent pas cette suite. Quand les disciples suivent Jésus en Galilée, ils ne savent pas qu’il va finir crucifié à Jérusalem. Quand Jésus meurt sur la croix, ils ne savent pas qu’il va ressusciter. Et quad Jésus quitte définitivement ses amis à l’Ascension, ceux-ci ne savent pas que l’Esprit va descendre sur eux quelques jours plus tard la Pentecôte. Ils parlent, ils agissent avec ce qu’ils perçoivent et ce qu’ils peuvent comprendre des événements qu’ils traversent au présent, et en essayant, comme nous en fait, de faire au mieux.

Et le récit des Actes des apôtres que nous avons entendu nous présente un de ces moments où les apôtres, livrés à eux-mêmes, font preuve d’initiative et de liberté dans la situation qui est la leur et avec leurs propres ressources. Jésus n’est plus là. Il est parti définitivement. Que faut-il faire ? Comment continuer et poursuivre l’histoire après lui ?

C’est ici que Pierre prend l’initiative. Il prend la parole et par quoi commence-t-il ? Il commence par faire ce qu’il peut pour réparer ce qui a été cassé, brisé, par les événements, l’unité des 12 apôtres choisis par Jésus. Car le groupe des apôtres a vécu un double traumatisme : non seulement, leur maître, Jésus est mort crucifié, mais encore, il a été trahi par un des siens, l’un de ceux qu’il avait choisi, un des douze qui avait vécu toute l’histoire depuis le début, et qui avait en plus un service important puisque c’était le trésorier du groupe.

Dès l’origine, l’Église est trahie et déchirée de l’intérieur, et de quelle façon ! Alors, la première mission que se donne Pierre, c’est de réparer comme il peut cette déchirure. Mais pas en cachant les choses ou en faisant comme si elles ne s’étaient pas produites. Non ! Pierre commence par rappeler les faits dans leur simple brutalité : « L’un de nous, qui avait une part de notre ministère, a servi de guide à ceux qui ont arrêté Jésus. » Et cette trahison du plus proche a conduit à une double mort : celle de Jésus, la victime, et celle de Judas, le coupable. Ainsi, Pierre commence par dire et par faire la vérité sur les événements, sans rien cacher, avant de choisir, avec toute la communauté rassemblée, quelqu’un qui restaure l’unité et l’intégrité du groupe des apôtres. D’abord la vérité donc, puis la réparation de ce qui a été déchiré, et cela, pour que l’histoire continue, malgré tout. Voilà qui peut nous guider, aujourd’hui encore, à chaque fois qu’une trahison semblable se produit.

Car le mal et ses conséquences ne doivent pas nous aveugler ou nous désespérer. Dès l’origine, il était à l’œuvre, mais dès l’origine, Jésus a prié et a veillé sur ses disciples. C’est cette prière que Jésus adresse à son Père pour ses disciples que nous avons entendu dans l’Évangile. Pour ses disciples, c’est-à-dire aussi pour nous. Et que dit Jésus ?

« Garde mes disciples unis dans ton nom pour qu’ils soient un comme nous-mêmes nous sommes un. » Jésus prie pour que nous soyons unis entre nous du même amour que celui qui l’unit à son Père. Voilà ce à quoi nous sommes appelés, ce vers quoi nous pouvons avancer.

« Je parle ainsi, dans le monde, pour qu’ils aient en eux ma joie et qu’ils en soient comblés. » Ce que Jésus demande pour nous, ce n’est pas seulement la joie, c’est sa joie, sa joie de ressuscité, sa joie de communion mutuelle avec son Père qui a traversé la mort.

« Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du mauvais. » Regardez le réalisme de la prière de Jésus. S’il commence par l’union dans l’amour et par sa joie de ressuscité, cela ne retire rien à la réalité haineuse et difficile du monde dans lequel nous restons. Or, c’est dans ce monde que la bonne nouvelle doit être annoncée et que nous sommes envoyés, comme Jésus a été lui-même envoyé. La foi et l’amour de Dieu ne nous retire pas du monde pour nous mettre dans une bulle imaginaire de bonheur et de sérénité, à l’abri du mal et des épreuves. Non ! Mais, dans le monde tel qu’il est, Jésus nous confie à son Père pour qu’il nous garde du mauvais à travers tout.

Judas a trahi, Pierre a renié. Et aujourd’hui encore, tous les Judas du monde continuent de trahir et tous les Pierre du monde continuent de renier. Mais ni la trahison, ni le reniement, n’auront le dernier mot. Car Jésus continue de nous confier au Père, de nous appeler à l’unité, de nous promettre sa joie de ressuscité, de demander au Père de nous garder du mauvais. Alors, si comme Pierre et les premiers disciples, nous choisissons la vérité, toute la vérité, si, comme eux, nous faisons tout ce que nous pouvons pour réparer ce qui a été déchiré, alors, la Parole du Christ continuera de résonner, et d’accomplir son œuvre de salut. Malgré nous, et grâce à nous !

Amen.

Père Paul Malvaux sj

Communauté Notre-Dame de la Paix, Namur

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