Dimanche 26 décembre
Fête de la Sainte Famille (C)
La mémoire du cœur
Textes de la liturgie (à consulter ici)
- 1 Samuel 1, 20-28 : La consécration de Samuel au Seigneur !
- Psaume 83 : Heureux les habitants de ta maison, Seigneur !
- 1 Jean 3, 1-221-24 : Nous aimer les uns les autres.
- Luc 2, 41-52 : Jésus parmi les docteurs du Temple.
Philippe de Champaigne – L’enfant retrouvé au Temple
1663, Musée des Beaux-Arts, Angers, France
L’homélie
Frères et sœurs, Nous célébrons ce dimanche la fête de la Sainte Famille.
Dans l’évangile d’aujourd’hui, il est, en effet, question de famille. Il suffit de repérer les mots du texte. On y parle d’enfant (2x), de parents (2x), de mère (2x), de père (2x), d’âge et de croissance. Le mot « père » vient deux fois, mais pour désigner des personnes différentes. C’est une famille où, apparemment, il y a deux pères… ! Comment comprendre cette double paternité ? Nous allons y revenir.
Une famille donc. Un événement aussi, au sein de cette famille. Un événement coutumier d’abord qui marque le temps d’une vie ; il y a un avant et un après. L’enfant Jésus atteint l’âge de 12 ans ; l’âge de la sortie de l’enfance et de l’entrée dans une maturation d’adulte. Et ce passage décisif dans la vie de Jésus est célébré, ici, par sa montée, pour la première fois, à Jérusalem pour la Pâque. C’est l’enfant qui grandit et devient membre d’une société avec ses coutumes, ses rites et ses obligations.
Mais cet événement coutumier autour de Jésus donne lieu ici à un autre événement ; un événement, cette fois, inédit, inhabituel, exceptionnel qui vient s’emboiter sur le premier et qui va marquer de manière indélébile la mémoire de sa mère : « Sa mère retenait toutes ces choses dans son cœur », dit le texte. Quel est cet événement ? Voici que l’enfant devenu adulte est perdu, échappe à la vue, au contrôle et à la garde de ses parents dans des circonstances que le récit évangélique détaille. Les parents perdent leur enfant et sont eux-mêmes tout perdus ; ils le cherchent angoissés, effrayés, littéralement, « au supplice ». Après trois jours d’angoisse, ils le retrouvent finalement en lui faisant de vifs reproches : « Enfant, pourquoi nous as-tu fais cela. Vois, ton père et moi, nous sommes au supplice en te cherchant ». Ils l’appellent encore « enfant » sans pouvoir reconnaître encore que cet enfant n’est plus le leur comme avant
Et où l’ont-ils trouvé cet enfant qui n’est plus le leur comme par le passé? Au temple, au milieu des docteurs de la loi, devisant et discutant avec eux, d’égal à égal, en faisant l’admiration, la stupéfaction même, de tous ses interlocuteurs, pour sa sagesse et la hauteur de son intelligence.
Et puis, il y a cette phrase décisive de Jésus qui donne la clef de compréhension de l’événement qui, à vrai dire, bouscule radicalement les fondements de la famille : « Ne saviez-vous pas que je me dois d’être aux affaires de mon Père ». Voici donc l’évocation de cet autre père que Jésus appelle, de manière personnelle, « mon Père », en fait, le Père de tous, celui qui donne la vie et appelle à sa croissance.
La loyauté envers ce Père qui est le sien lui demande d’être à ses affaires. Apparemment, on est donc en présence, dans le chef de l’enfant devenant adulte, d’un conflit de loyauté envers deux pères ; l’époux de Marie, d’une part, et son autre père, d’autre part, qui le retient au temple devisant au milieu des docteurs de la loi. Et Jésus explique son geste : il se doit d’abord aux affaires de son Père quitte à mettre à mal ses parents. Remarquons que c’est la première fois, dans le récit évangélique de Luc, que Jésus parle en « je », à la première personne, face à ses parents, en invoquant son devoir envers son Père. En fait, on assiste ici à un engendrement de Jésus qui grandit, qui devient lui-même en nommant son Père. Il s’exprime ici devant ses parents et grâce à eux, non plus comme un enfant, mais comme un « je » qui affiche sa personnalité et prend son devenir en mains, en réponse à l’appel de son Père, le Père de tous.
Le récit évangélique souligne l’incompréhension des parents, de sa mère et de son père : « Eux-mêmes ne comprenaient pas ce qu’il leur disait ». La traduction liturgique emploie l’imparfait. Mais, littéralement, on devrait traduire : « Ils ne comprenaient pas ce qu’il leur avait dit » comme si Jésus les avait prévenus auparavant de l’événement sans avoir été compris.
Et puis, vient la finale du récit. L’événement douloureux, conflictuel même, se dissipe dans le calme, dans la paix. Le jeune homme revient avec ses parents à Nazareth. Et il leur était soumis, précise le texte. Le conflit de loyauté entre les deux instances paternelles semble résolu. Mais, rien pourtant n’est plus comme avant. La mémoire de ce qui s’est passé demeure et le sens de l’événement n’est pas clos. « Sa mère retenait toutes ces choses – ou toutes ces paroles – dans son cœur » comme si le sens de ces événements et paroles était encore à venir.
Et le texte se conclut en disant « Et Jésus (on ne dit plus l’enfant) grandissait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes ». Le texte insiste sur cette simultanéité : devant Dieu et devant les hommes. Nous retrouvons ici les deux paternités humaine et divine de Jésus, mais ici alliées, conjointes. Ces deux paternités, en un seul engendrement, ne sont plus disjointes ou en conflit, mais en une heureuse et féconde harmonie. C’est dans le champ même de la famille humaine que la paternité divine trouve à s’exercer, est reconnue et, littéralement, prend corps.
Frères et sœurs, le récit évangélique de la liturgie d’aujourd’hui parle de Jésus, de Marie et Joseph, son père, et de Dieu Père. Mais il parle aussi de nous, de nos familles, de notre condition humaine marquée de manière indélébile par un double engendrement : deux engendrements – humain et divin – qui, mystérieusement, s’entrecroisent, s’allient pour que la vie passe. C’est dans le champ des alliances humaines que l’alliance avec Dieu se laisse reconnaître et se donne.
Il y a un engendrement, d’âge en âge, de génération en génération, à la vie mortelle qui est déjà habitée par la grâce créatrice d’un Dieu Père, créateur du ciel et de la terre. Et puis, il y a encore un autre engendrement qui assume le premier, le travaille de l’intérieur pour le conduire à son terme, à la vie éternelle libérée de tout mal et de toute mort. Telle est notre condition humaine, telle est la condition humano-divine de nos familles qui sont saintes, non point qu’elles soient parfaites, mais parce qu’elles sont habitées par la puissance régénératrice d’un Dieu Père qui, à travers les alliances humaines, donne vie. Jésus en est le témoin.
Plus largement encore, la fête de la Sainte Famille parle de la condition de notre humanité toute entière. Elle est la famille de Dieu, dans laquelle, par-delà nos différences, nous sommes appelés à nous reconnaître frères et sœurs en Jésus-Christ, fils et filles d’un même Père.
Père André Fossion sj
Communauté Notre-Dame de la Paix, Namur
Pour accompagner la prière
Notre Dieu s’est fait homme
Paroles et musique : Marc Dannaud
1. Notre Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit Dieu,
Mystère inépuisable, fontaine du salut.
Quand Dieu dresse la table, il convie ses amis,
Pour que sa vie divine soit aussi notre vie !
2. Le Seigneur nous convoque par le feu de l’Esprit
Au banquet de ses noces célébrées dans la joie.
Nous sommes son Église, l’épouse qu’il choisit,
Pour vivre son alliance et partager sa vie.
3. Merveille des merveilles, miracle de ce jour !
Pour nous Dieu s’abandonne en cette Eucharistie.
Chassons toute indolence, le Christ est parmi nous,
Accueillons sa présence et offrons-nous à lui.
4. Dieu se fait nourriture pour demeurer en nous,
Il se fait vulnérable et nous attire à lui.
Mystère d’indigence d’un Dieu qui s’humilie
Pour que sa créature soit transformée en lui.
5. Il frappe à notre porte le Seigneur tout-puissant,
Il attend humble et pauvre, mendiant de notre amour.
Dénué d’arrogance, sous l’aspect de ce pain
Il se donne en offrande pour demeurer en nous.
6. Que nos cœurs reconnaissent en ce pain et ce vin
L’unique nécessaire qui surpasse tout bien.
Ce que nos yeux contemplent, sans beauté ni éclat,
C´est l’amour qui s’abaisse et nous élève à lui.